Liberté d’expression et Pouvoirs

***************************

Le nouveau mode de répression

************

Les nouveaux espaces d’expression tels que Facebook dérangent. L’Etat n’arrive plus à les maitriser. Mais il semble qu’il a trouvé la solution. Plusieurs militants et activistes sont poursuivis grâce à cet organisme de lutte contre la cybercriminalité. Retour sur ce nouveau mode de répression qui fait ravage.

«N’avez-vous pas vu ce qu’a fait Dieu aux propriétaires de la grue ? Ne les a-t-il pas tué à la Mecque comme à Rabia. C’était là, un signe fort celui tombé sur la maison de Dieu. D’ailleurs, je ne suis pas votre Dieu, vous la Ouma égarée, etc». Ce texte traduit de l’arabe ainsi que d’autres, considérés par la justice de M’sila comme un blasphème des sourate du Coran, ont coûté à son auteur, Rachid Fodil, une condamnation en première instance à «cinq ans de prison ferme».

Gérant d’un cybercafé dans un petit douar de Sidi Aïssa à l’ouest de M’sila, Rachid Fodil, 28 ans, propriétaire d’une page facebook, a été poursuivi pour «atteinte aux préceptes de l’islam et offense au Prophète». Sa sentence a été réduite à «une année de prison ferme» en cour d’appel. «Il sera libéré dans moins d’une semaine après avoir purgé sa peine», assure son avocat, Me Amirouche Bakouri, joint par téléphone. Finies les poursuites judicaires classiques.

Aujourd’hui, déférer devant un juge pour des slogans portés dans des pancartes, des déclarations données en public ou des positions rapportées par des médias se fait de plus en plus rare. Désormais, les activistes et les militants, associatifs ou politiques, font face à une nouvelle procédure. Ils sont jugés pour les mêmes chefs d’inculpation classiques, mais pour des propos tenus en virtuel sur facebook.

Ce nouvel espace d’expression dérange. Devant les interdictions des manifestations et la fermeture des espaces publics, beaucoup d’activistes trouvent en les réseaux sociaux un refuge où ils peuvent s’exprimer librement sans être inquiétés. Mais depuis quelques années, tenir certains propos ou partager des photos et des caricatures, peut être considéré comme un délit. Dénoncer la corruption ou les pratiques controversées des services de sécurité peut se retourner contre le lanceur d’alerte. Pour pouvoir s’exprimer, les militants et activistes n’ont aujourd’hui ni l’espace public ni le virtuel. En réalité, ils sont cernés de partout.

Printemps

«Des dizaines de militants et de citoyens sont aujourd’hui poursuivis pour des propos tenus sur facebook. Nous ne connaissons que les cas qui nous ont été signalés, car il doit y avoir d’autres que nous ignorons. Généralement ce sont les services de sécurité qui les conseillent de ne pas faire appel aux avocats des droits de l’homme de peur que leurs cas ne soient médiatisés. Mais ce qui nous interpelle le plus dans cette histoire, est que nous avons l’impression que les accusations sont toutes prêtes.

La police judiciaire ainsi que la justice ne font que les distribuer sur les personnes ciblées», confie Me Abdelghani Badi, président du bureau de la Laddh (aile Me Benissad) à Alger et avocat qui suit de près ce dossier, rencontré dans la capitale. «Diffamation, outrage à corps constitué, outrage au président de la République, outrage aux symboles de la République, incitation à attroupement armé et non armée, offense au Prophète et atteinte aux préceptes de l’islam», sont les accusations qui reviennent souvent dans ce genre d’affaire. Impossible de citer tout les cas, car ces derniers se comptent par centaines.

Les avocats défenseurs des droits de l’homme assurent que toutes les wilayas sont concernées par cette nouvelle mesure mais El Oued, reste pour eux, la région qui a connu le plus de militants poursuivis pour des propos tenus sur facebook. Le mouvement des chômeurs est celui qui a payé le plus les frais de son engagement, selon ces derniers. Pour bon nombre d’observateurs, c’est en «représailles» que ces membres ont fait l’objet de «harcèlement» par la voie de cette nouvelle procédure.

Exil

En 2014, Rachid Aouine, l’ex-douanier qui était derrière l’affaire du gazoduc qui alimentait sans aucun contrôle la Tunisie à partir du sud algérien, est jugé pour des propos tenus sur facebook. Devenu, après son licenciement, l’un des leaders du mouvement de contestation des chômeurs dans sa région à El Oued, Rachid Aouine, accablé par la justice, est passé à la barre pour la dernière fois en Algérie.

Lors du mouvement de protestation qu’a connu le corps de la police dans cette période, Rachid s’est exprimé sur sa page facebook en appelant les policiers à rejoindre leurs confrères, au lieu de réprimer son mouvement (les chômeurs). L’ex-douanier a été systématiquement poursuivi pour «incitation à attroupement» et condamné à «quatre mois de prison ferme».

Le jour de son procès, Abdelhamid Brahimi, 28 ans, l’un des chômeurs d’El Oued qui ont pris part au rassemblement de soutien où a participé d’ailleurs la famille Aouine, a assisté à une scène choquante pour lui. «La famille de Rachid, dont une vielle révolutionnaire du FLN, a été malmenée par les policiers. Ils les ont même embarqué, chose qui m’a révolté.

Je suis rentré chez moi et j’ai décrit ce que j’ai vu et vécu sur mon compte facebook. J’ai été interpellé, placé en garde à vue et jugé six jours plutard. Heureusement que j’ai été acquitté», témoigne-t-il. Dans cette affaire, Abdelhamid a été acquitté contrairement à des affaires précédentes où il a été condamné. Rachid Aouine a quitté l’Algérie après sa sortie de prison. Actuellement, il vit en Angleterre avec sa femme où sa demande d’exil politique a été accordée par les autorités britanniques.

Vidéo

Belkacem Khencha, l’autre leader du mouvement des chômeurs à Laghouat, risque de replonger en prison après avoir passé six mois, suite à l’organisation d’un sit-in devant le tribunal du centre-ville. Son seul tort est d’avoir diffusé une vidéo sur facebook où il critique le fonctionnement de la justice et sa condamnation avec sept autres membres de son mouvement. Le caricaturiste d’El Oued, Tahar Djehiche, a été jugé lui aussi pour avoir diffusé une caricature à travers laquelle il apporte son soutien au mouvement anti-gaz de schiste d’In Salah.

Accusé d’«offense au président de la République», il a été acquitté en première instance puis condamné par la cour d’El Oued à «six mois de prison ferme et 500 00 DA d’amende» pour avoir caricaturé Bouteflika dans une sable-minuterie. L’activiste de Tlemcen, Zoulikha Belarbi, elle aussi, a été poursuivie pour les mêmes chefs d’inculpation et ce, pour avoir partagé une photo de Bouteflika en compagnie d’un nombre de décideurs dans un décor de série-télé. Belarbi a été condamnée à «une amende de 100 000 DA».

Le journaliste Hassan Bouras, qui a diffusé sur facebook une vidéo-témoignage de personnes qui ont accusé des cadres de la police d’El Bayadh de «corruption et de vouloir leur soustraire des pots-de-vin» et qui a décrit cette dernière de «forces coloniales» pour tout ce qu’«elle lui a fait subir depuis des années», a été accusé d’«inciter les gens à prendre les armes contre l’Etat». Son affaire est qualifiée de «criminelle», assure son avocat Me Badi. «L’affaire est au niveau de la cour suprême et il risque la peine capitale», ajoute-t-il.

En 2016, un jeune doctorant en littérature arabe, Sohaib Guerfi, 25 ans, originaire d’El Taref, a été conduit manu militari malgré son handicap à Alger pour avoir écrit en langue arabe sur sa page : «Je ne suis pas de la Gaule ni de la brousse africaine. Je viens d’un pays gouverné par des ânes», rapporte son avocat, Me Badi. Ce jeune a été non seulement jugé mais a eu droit à une «’’correction’’ du juge». «Si t’étais mon fils, je t’aurai égorgé», lance le juge devant la stupéfaction des présents à l’audience dont son avocat Me Badi. Cette déclaration qui a été largement dénoncée sur les réseaux sociaux et qui a suscité la colère des internautes a laissé perplexe plus d’un.

Sohaib a fini par être relaxé mais cette déclaration a montré combien «nos juges et la justice sont partiels quand il s’agit de ‘’l’atteinte’’ à l’Etat». L’autre cas dont on parle peu aujourd’hui est celui du bloggeur Merzoug Touati, poursuivi pour «ses activités militantes et ses écris sur sa page facebook et sur son blog Alhogra.com». Ce jeune diplômé de l’université de Bejaia, accusé, entre autre, de «travailler avec l’intelligence étrangère», est toujours en détention préventive à Bejaia.

Mais l’histoire qui a intrigué tout le monde dont le cas n’a jamais été expliqué est l’affaire Youcef Ould Dada, l’information Mozabite de 48 ans qui a filmé et diffusé sur facebook «une vidéo de gendarmes en train de voler un magasin en pleins heurts à Ghardaïa en 2014». «Au lieu de chercher les auteurs du vol, la justice a condamné Ould Dada à deux ans de prison ferme pour avoir publié des photos et vidéos portant atteinte à l’intérêt national», souligne son avocat, Me Salah Dabouz, président de l’une des ailes de la Laddh.

Cybercriminalité

Pour pouvoir relever toutes ces informations des comptes et pages facebook des militants et activistes, la police judicaire fait appel au Centre de prévention et de lutte contre la criminalité informatique et la cybercriminalité (CPLCIC). La loi qui régit son fonctionnement promulgée par décret portant le n°09-04, du 5 août 2009, explique que le CPLCIC a pour objectif de «mettre en place des règles particulières de prévention et de lutte contre les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication».

Selon son article 4, ses opérations de surveillance sont effectuées dans le but de «prévenir les infractions qualifiées d’actes terroristes ou subversifs et les infractions contre la sûreté de l’Etat ; lorsqu’il existe des informations relatives à une atteinte probable à un système informatique représentant une menace pour l’ordre public, la défense nationale, les institutions de l’Etat ou l’économie nationale ; pour les besoins des enquêtes et des informations judiciaires lorsqu’il est difficile d’aboutir à des résultats intéressant ou dans le cadre de l’exécution des demandes d’entraide judiciaire internationale». Mais la mission principale de cet organisme qui est la lutte contre la cybercriminalité semble avoir été déjouée.

Me Badi explique : «Si je prends le volet de l’anti-terrorisme, ce centre de lutte contre la cybercriminalité a été efficace en la matière. Il faut savoir que des centaines d’Algériens ont été sauvés grâce à lui. Plusieurs réseaux appartenant à Daesh ont été démantelés avant même que ces sympathisants algériens ne les rejoignent en Syrie où en Irak.

La police judiciaire a relevé plusieurs financements venant des pays du Golfe pour la création et le financement de réseaux terroristes en Algérie. Il faut dire que le CPLCIC a été efficace dans ce domaine. Mais ce que nous regrettons c’est son utilisation pour réprimer les militants et activistes qui dérangent le pouvoir. Sur ce registre, je pense que sa mission a été déviée, car il n’a pas été créé pour cet objectif», indique Me Badi.

Gendarmerie

Dans le communiqué de la Gendarmerie nationale qui résume son bilan du 31 juillet 2016, nous pouvons lire ceci : «La section de recherches de la Gendarmerie nationale de Sétif a présenté devant le Procureur de la République près le tribunal de Beni Ouartilane (Sétif), un citoyen âgé de 46 ans, pour atteinte aux préceptes de l’Islam et propos indécents à l’égard du Prophète Mohamed (QSSL).

Il a été écroué.» Ici, la Gendarmerie nationale parle du Sétifien de confession chrétienne, Slimane Bouhafs, dont l’affaire a fait couler beaucoup d’encre. La Gendarmerie nationale explique les raisons de l’interpellation dans le même communiqué. «Les gendarmes ont constaté sur une page Facebook des propos indécents envers le Prophète Mohamed (QSSL) accusé d’avoir notamment épousé 13 femmes et assassiné plus d’un million de personnes.

La surveillance de ce site a permis de constater entre autres la déformation de quatre (04) sourates du Coran… le procureur près le tribunal de Beni Ouartilane a ordonné l’ouverture d’une enquête qui a abouti à l’identification et l’arrestation du mis en cause avec l’aide du Centre de prévention et de lutte contre la criminalité informatique et la cybercriminalité (CPLCIC) de la Gendarmerie nationale», lit-on dans le même communiqué.

Me Salah Dabouz et avocat de Slimane Bouhafs s’indigne : «Slimane Bouhafs a dénoncé auprès de la Gendarmerie nationale une personne pour corruption. Pour déjouer l’histoire, l’accusée a invité les gendarmes à lire les propos de Bouhafs sur sa page facebook. Pour elle, s’il porte atteinte à l’islam, c’est qu’il ne peut être crédible. Et c’est ainsi que l’affaire a commencé. Au lieu de faire son boulot, la gendarmerie est allée surveiller sa page et jauger la foi des gens. Ca ne devait pas les concerner.»

Ahmadis

Pour avoir tenu ces propos, Slimane Bouhafs a été condamné à «cinq ans de prison ferme» avant que sa sentence ne soit réduite à «trois ans ferme» en cour d’appel. Il a subi plusieurs agressions en prison notamment à Sétif et à Constantine. Sa famille, qui s’inquiète sur son état de santé qui ne cesse de se détériorer, espère qu’il sera relâché bientôt à la faveur de la grâce présidentielle.

«Facebook est un moyen de communication comme tous les autres. S’il y a atteinte, c’est à la victime de déposer plainte. Hors, nous n’avons jamais identifié de plaignant dans ce genre d’affaire. Le but est clair. L’Etat veut empêcher les gens de s’exprimer. Et elle le fait à travers cet organisme de cybercriminalité», dénonce Me Dabouz. Facebook est devenu un fardeau.

Plusieurs internautes s’autocensurent de peur de connaître le même sort que ces dizaines de personnes poursuivis pour un oui ou un non. «Il y a, certes, des atteintes à la liberté d’expression, mais j’ai remarqué aussi que nos jeunes ne font plus la différence entre la liberté d’expression et l’insulte. Il est vrai que les frontières entre les deux sont minces, mais il faut qu’ils s’habituent à ne pas s’attaquer à la sa vie privée des gens et à ne pas injurier ou insulter quelqu’un», insiste Me Bakouri. Et de préciser : «Les personnes poursuivies l’ont été pour leurs propos tenus en public.

Il faut savoir que ce qui inquiète l’Etat ce ne sont pas les pages francophones, mais celles surtout écrites en Dardja car ce sont elles qui mobilisent. Ils ont poursuivi les Ahmadis, les non jeûneurs et peuvent même embarquer des filles en bikini par le même article de loi. Facebook est le seul espace où les jeunes s’expriment. Le pouvoir n’a pas réussi à le maîtriser. Il a constaté que tout le monde peut critiquer et dénoncer en un seul clic. Alors, il choisit des cas précis pour donner l’exemple.»
 *Meziane Abane / el watan / vendredi 09 juin 2017

******

*Médias : Le dérapage

Caméra cachée terrorisante, violation de la vie privée, non respect de la ligne éditoriale…tant d’agissement qui vont à l’encontre de l’éthique journalistique. Finalement, ou est la limite du journaliste et quel est le rôle de l’université Algérienne ? Décryptage

Samedi dernier, des dizaines de personnes se sont rassemblées devant les locaux de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV) à Alger, répondant à l’appel du collectif mis en place pour dénoncer le traitement réservé par la chaîne privée Ennahar TV à l’écrivain Rachid Boudjedra.

Comme chaque année durant le mois sacré, les chaînes de télévision diffusent des caméras cachées, piégeant des anonymes ou personnes publiques. Mais celle réservée à l’écrivain Rachid Boudjedra a créé un tollé, ce dernier ayant été humilié et brutalisé. Bien qu’il ait refusé que ce canular soit diffusé et ait menacé la chaîne de poursuites, la chaine l’a quand même diffusé. A cet effet, Rachid Boudjedra avait déclaré : «Nous avons vécu un terrorisme politique et religieux. Maintenant, on subit un terrorisme médiatique».

Pour Brahim Brahimi, ancien directeur de l’Ecole nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information (ENSJSI) d’Alger estime que ce qui s’est passé avec Boudjerdra est «affolant». Le professeur estime qu’ «on ne peut pas faire une caméra cachée comme celle-ci à un monument comme Boudjdra. Il ne faut pas oublier qu’il est l’un des rares avec Melyouni à avoir pris une position claire contre le terrorisme durant la décennie noire. A cet époque, le journaliste se diguisait presque pour aller travailler». «Malheureusement aujourd’hui, la télé tend à aller vers le bas», se désole-t-il.

Marchandise

Suite à cette sombre affaire, la question de l’éthique journalistique est revenue sur le tapis. Face à la multitude des médias, notamment sur internet, de nombreuses éthiques essentielles du bon journaliste passent à la trappe. Mais concrètement, ou est la limite du journaliste ? En premier lieu, le journaliste se doit de respecter la ligne éditoriale de l’organe de presse.

A cet effet, Belkacem Mostefaoui, professeur à l’école nationale supérieure de journalisme et des sciences de l’information d’Alger estime que des entreprises éditrices de médias, anciens ou nouveaux, ressortent deux types de produits : une marchandise (achetée par le lecteur dans le cas d’un journal papier ou d’entrée version web payante) et les annonceurs qui y sont gratifiés de pub) ; et des valeurs symboliques (spiritualité, éducation citoyenne, valeurs culturelles) qui sont la marque de la ligne éditoriale du média.

Selon lui, la ligne éditoriale est la raison d’être du média pour sauvegarder les liens les plus fidèles avec ses auditoires, pour respecter leur droit à l’information. «Justement, de lancinantes questions de sens sont produites, en ligne de tension permanente, entre les deux logiques induites par les deux «marchandises» vendues. Dans les métiers du journalisme elles ont pour noms : éthique, déontologie et responsabilité sociale. Dans tous les pays développant les règles de vie sous état de droit ces principes sont au fondement du métier, à côté d’un apprentissage sérieux de savoir-faire», explique-t-il.

Ligne éditoriale

Outre le respect de la ligne éditoriale, on remarque de plus en plus de journalistes piégeant des célébrités dans des caméras cachées. Mais finalement, un journaliste a-t-il le droit de faire de caméras cachées ou perde-t-il sa crédibilité en s’essayant à ce genre d’exercice ? D’abord, il faut savoir que même la caméra cachée a ses règles. Il faut que la chaine en question ait l’approbation du piégé avant la diffusion. Sinon, la loi interdit sa diffusion et le concerné à le droit de porter plainte. «Malheureusement, dans les caméras cachées diffusées durant ce mois sacré, il y a eu de nombreux dérapages», se désole Cherif Dris, professeur à l’école de journalisme d’Alger.

Concernant le fait de savoir si un journaliste reste crédible en faisant des caméras cachées, le professeur estime : «faire des caméras cachées ou écrire des interviews imaginaires sont deux cas de figure semblables. En faisant des caméras cachées, le journaliste mets de côté deux critères essentiels : l’honnêteté et la transparence». De son côté, Brahim Brahimi, soutient : «Si une caméra cachée est faite avec humour et intelligence, cela peut passer. Cependant, si cette dernière met en péril la santé des piégés, cela est inadmissible».

Caméra cachée

Pour Belkacem Ahcene-Djaballah, professeur associé à l’ENSJSI d’Alger, le problème n’est pas de savoir si on a le droit de les faire ou de ne pas les faire mais, surtout et avant tout, de «comment faire». D’ailleurs, le professeur n’est pas d’accord avec la pétition qui circule qui porte à interdire la diffusion de la caméra cachée d’Ennahar Tv. «Je ne suis pas d’accord avec la décision d’arrêter l’émission. Demain, ce sera au tour de Dilem ou du Hic ou de Slim…ect. Il s’agit d’une décision extrémiste. Selon moi, on ne devait pas l’interdire mais seulement la remodeler». Autre point qui a suscité la polémique : la vie privée.

En effet, la semaine dernière, une vidéo «mettant en scène Hocine Rizou, le PDG de Naftal en plein ébat avec un homme» a fait le tour du web. Ce dernier a alors été démis de ses fonctions et remplacé par Mustapha Hannafi, directeur au ministère de l’Energie. Suite à cette affaire, de nombreuses voix se sont levées pour dénoncer cette décision, «le haut cadre n’étant pas écarté pour des raisons professionnelles mais plutôt personnelles qui relèvent de sa vie privée».

On vient alors à se demander si un journaliste à le droit d’aborder la vie privée des personnes dans ses articles et ou en est la limite ? Pour Belkacem Ahcene-Djaballah, «sur le plan éthique et déontologique et même juridique, il y a des limites qu’il ne faut pas franchir au risque de subir les foudres de la justice. Malheureusement chez nous, les choses ne sont pas claires et l’appréciation finale reste toujours relevant de ‘’l’intime conviction’’ de ceux qui jugent. A mon avis, il faut faire la part de ce qui est ‘’vie privée’’ et de ce qui est ‘’vie intime’’».

Vie privée

Cependant, ce dernier estime qu’il ne faut pas oublier que les feux de la rampe sont toujours brûlants et que toute personne publique qu’elle soit ministre, député, PDG, écrivain, ou journaliste sache que sa ‘’vie’’ ne lui appartient plus, et qu’il y a des risques. De son côté, Cherif Dris estime que relever la vie privée dépend de la situation.

Il explique : «Dans un pays comme les Etats Unies, un quelconque homme politique doit se tenir à carreau car s’il dérape par exemple, il sait que la presse ne va pas se gêner à sortir les faits. A l’inverse, en France par exemple, on ne s’intéresse pas vraiment à la vie privée. Dans l’affaire François Fillon, on n’a autant parlé de lui car il s’agissait d’argent publique, ça ne révèle pas du domaine du privée». Autre analyse, elle est faite par Brahim Brahimi. Le professeur fait la comparaison avec la presse jaune existant en Angleterre. «Il faut dénoncer cette presse qui ne fait que dans le sensationnel afin de vendre», assure-t-il.

Par ailleurs, autre détail et non des moindres : la banalisation des scènes de violence à l’écran. «Scènes de violence démultipliées et banalisées, en particulier contre les personnes les plus vulnérables, femmes et enfants. Jeux avec des caméras cachées, par simples pressions tactiles diffusées via écrans télés, imams gourous appelant au meurtre d’intellectuels et artistes non domestiqués : c’est le premier lot d’immondices qu’ont charriées les télés commerciales aux foyers d’Algérie», soutient Belkacem Mostefaoui.

Violence

Ce dernier soutient que les tenants de la puissance publique ayant eu, à l’orée des élections législatives de 2012, de nous fourguer des médias zombies, on se retrouve, au printemps 2017 avec des fabriques aux tentacules consolidées, à l’aune de leurs racines. Pour Chrif Dris, «malheureusement, on n’a sublimé et banalisé la violence». Le professeur explique : «Nous sommes dans une perpétuelle recherche d’audimat.

On donne au téléspectateur ce qu’il veut voir jusqu’à ce qu’on se perd entre ce qu’il faut montrer ou pas». De son côté, Belkacem Ahcene-Djaballah relève deux problèmes. Tout d’abord, un vide juridique ou d’interprétation lacunaire des textes existants, qu’il faut très vite réparer. Selon lui, il faut revoir, en l’amendant pour aller vite, la loi sur l’audiovisuel qui a créé une Autorité sans instruments décisifs d’intervention et de sanction en toute indépendance.

Le second point concerne la «régularisation» des chaînes existantes. C’est-à-dire les «algérianniser». Ceci pour les amener à s’installer complètement et totalement en Algérie (siège social)….Pour le moment, malgré les accréditations de représentations et de bien des subterfuges, ces chaines sont ‘’algéro-étrangères’’ ou ‘’étrangement algériennes’’. C’est pour cette raison qu’il est difficile, voire impossible de les ester en justice.

Université

Mais finalement, quel est le rôle de l’université dans tout ça ? «D’un mot, je note qu’une forte trentaine de structures universitaires dans le pays (dont l’Ecole de journalisme d’Alger) délivrent des diplômes de licences et masters. A l’aune du populisme qui a marqué le système universitaire depuis en particulier la fin des années 1980 on se retrouve avec des cohortes de porteurs de diplômes ayant en réalité tout au plus reçu, comme leurs congénères de sciences sociales, des data théoriques sur le domaine. Mais vraiment peu, sinon rien, d’apprentissage du métier de journaliste», note Belkacem Mostefaoui.

Pour remédier à cela, ce dernier propose de créer en extrême urgence des structures de formation au journalisme, hors université. Elles pourront être appelées Ecole pratiques du journalisme, l’une à Alger, deux autres à Oran et Constantine ; d’une année de cursus sur concours strict (après la licence), 80 % de leur carte de formation est chevillée sur la pratique des métiers, sur une année de formation. Le restant consolidant les humanités et celle sur le savoir-être journaliste.

Des formules de conception d’assise de ces nouvelles écoles pourraient être discutées entre éditeurs (publics et privés) de référence et le ministère de l’Enseignement supérieur. De son côté, Belkacem Ahcene-Djaballah n’accable pas l’université et estime : «L’université, devant l’afflux monstre d’étudiants en journalisme et communication, fait ce qu’elle peut avec les moyens matériels et humains qui lui sont accordés.

Ce n’est donc pas totalement de sa faute et on a  d’ailleurs des journalistes de talents et célèbres sur le plan international lauréats de nos universités. En fait, c’est aux journaux eux-mêmes de savoir, avant tout recrutement, faire le tri entre le bon grain et l’ivraie et ne pas prendre n’importe qui. Ensuite, il faut mettre le point sur l’encadrement. Et enfin, entreprendre des sessions de formation et de perfectionnement, car le journalisme évolue rapidement».

 **Sofia Ouahib / el watan / vendredi 09 juin 2017

********************************



Répondre

leprieuremoret |
le site consacré a de tout ... |
bière et brasseries de Moselle |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | SuperKill3000
| salomecasta
| Univers Manchettellesque